HOMMAGE à un PETIT PAS

Les plus lointains voyages commencent par un petit pas, insignifiant, machinal, inaperçu, oublié. Pourtant, quelle volonté, quel renoncement, quels efforts il représente parfois ! Quelle patience ! Et quelle constance dans le projet….

Avant d’entamer le récit de notre périple sur les Canaux du Sud de la France, je rends hommage à notre petit pas.

 

de LA POINTE ROUGE – MARSEILLE

à PORT SAINT LOUIS du RHÔNE

Nous l’avons fait le 6 septembre 2012, il n’était qu’un tour de clé, mais il a mis en route le moteur du bateau. Destination : ces canaux que nous regardions depuis des décennies de la route, en nous disant qu’un jour, nous descendrions les voir « par l’eau. »
 
Ils se succèdent pour former une grande voie qui relie le RHÔNE à l’ATLANTIQUE. Nous emprunterons pour commencer le CANAL du RHÔNE à SÈTE qui vient de BEAUCAIRE, sur le RHÔNE ; il aboutit à l’extrémité Est de l’étang de THAU ; à l’extrémité Ouest, le CANAL du MIDI prend le relais ; après TOULOUSE, le CANAL LATÉRAL de la GARONNE lui succède ; enfin la GARONNE, et la GIRONDE terminent le parcours. On les appelle « les CANAUX du MIDI ».
 
Une autre liaison, cette fois de la MÉDITERRANÉE et de l’ATLANTIQUE, se fait par l’EMBRANCHEMENT De LA NOUVELLE, qui joint le CANAL du MIDI à PORT LA NOUVELLE.
 
Le CANAL LATÉRAL de la GARONNE reçoit la BAÏSE et le LOT AVAL.
 
L’ensemble du CANAL du MIDI, du CANAL LATÉRAL de la GARONNE, et de leurs ramifications a été dénommé « CANAL d’ENTRE DEUX MERS » et depuis quelques années « CANAL des DEUX MERS ».
 
Notre itinéraire partait par la mer de notre port d’attache, le Yachting Club de la POINTE ROUGE à MARSEILLE, cap sur PORT SAINT LOUIS du RHÔNE, pour notre première nuit. De là il remontait le RHÔNE et rejoignait par le PETIT RHÔNE le CANAL du RHÔNE à SÈTE, traversait l’étang de THAU, s’engageait dans le CANAL du MIDI aux ONGLOUS, le suivait jusqu’à TREBES, revenait sur ses pas pour retourner vers la mer par le Canal de la ROBINE, et PORT la NOUVELLE. De là, il piquait sur MARSEILLE.
 
Nous étions trois : le TIGRE, le bateau, un ANTARES 7,60 de Bénéteau, conçu pour la mer, équipé d’un propulseur d’étrave et d’une cuve à eaux noires. L’intérieur est confortable ; le carré de bonnes dimensions, (quatre personnes peuvent s’y attabler sans se gêner), avec coin cuisine et frigo ; une salle de douche et toilettes ; et une spacieuse cabine de couchage entourée d’ « équipets » (rangements) spacieuses et fonctionnelles.
 
Les deux autres partenaires du voyage étaient le Capitaine, à la longue expérience de la navigation en mer, ancien régatier, et le Matelot – chroniqueur, seulement fervent de la vie sur l’eau.
 
Nous étions tous les deux titulaires du permis côtier. Le Capitaine avait en plus le permis hauturier, et avait passé pour la circonstance le permis fluvial, obligatoire pour qui veut s’aventurer sur les eaux intérieures. Sans examen, j’avais simplement étudié les bases du code fluvial et principalement les signaux.
Pour notre première étape, 26 miles d’une diagonale tracée dans le PORT AUTONOME de MARSEILLE, le temps était ensoleillé, la mer belle à peu agitée, force 2 -3. Trois heures de navigation.
 
PORT SAINT LOUIS a pour limites le RHÔNE à l’OUEST, et le GOLFE de FOS à l’EST. La ville, industrielle, est rattachée au Port de MARSEILLE ; elle est aussi intégrée au Parc National de la CAMARGUE, dont elle est une « porte d’entrée ».
 
L’activité portuaire y a pris son essor au XIX° avec le percement du CANAL SAINT LOUIS, et la création d’un BASSIN, et d’une écluse. Grâce à ces grands travaux, et au canal grand gabarit du RHÔNE à FOS, PORT SAINT LOUIS est devenu le point clé des trafics, fluvial et fluviomaritime, entre l’EUROPE et la MÉDITERRANÉE. Désormais, son nom est associé aux hydrocarbures, produits chimiques liquides, bois et vins, tandis que la pêche et l’élevage des moules « de CARTEAU » demeurent.
 
Aujourd’hui, PORT SAINT LOUIS fortifie ses attraits touristiques : la Tour Saint-Louis, bâtiment du XVIIIe siècle élevé par Jacques Philippe MARESCHAL abrite la plus importante collection ornithologique de CAMARGUE, avec 168 oiseaux naturalisés ; la Plage de CARTEAU, plus de 10 kilomètres de sable fin, est réputée ; les ports de plaisance ont été développés, et sont tous bien côtés, ils sont privés (le Port NAPOLÉON et celui de CARTEAU), ou municipaux (comme celui du BASSIN qui va nous accueillir pour la nuit). Le BASSIN a une particularité : il nécessite une écluse pour retenir l’eau à marée basse, il n’est possible d’y entrer ou d’en sortir que 2 à 3 heures avant et après la pleine mer, tandis que dans un port à flot, la profondeur est toujours stable et les bateaux restent à flot quel que soit l’état de la mer.
 
La ville multiplie les animations, et convertit en atout le vent omniprésent : elle est devenue un haut lieu du kitesurf en France. Un de ses natifs, Alexandre CAIZERGUES, trois fois champion du monde de vitesse, est le premier homme au monde à avoir franchi le mur des 100 km/h sur l’eau.
 
L’entrée à PORT SAINT LOUIS est adaptée au climat de la région, et à ce mistral impitoyable qui a fait le plein de sa force avant d’arriver ici. D’abord, on passe à l’abri de la longue digue, puis on s’engage dans le canal Saint Louis, qui s’élargit un moment sous le nom de « Tellines », et ensuite reprend, rectiligne, son chemin vers le Bassin, d’où, à moins de faire demi-tour, on ressort par l’écluse qui permet l’accès au Rhône. Le Port de Plaisance qui nous héberge occupe la rive droite de ce Bassin.
 
Tout y est correct, un mouillage agréable, un accueil sympathique, des équipements impeccables, douches chaudes, sanitaires, rondes de surveillance de nuit. Du modernisme, et de la tradition, des grappes de moules accrochées aux piles du ponton, des muges qui circulent entre les bateaux…
 
Après les formalités administratives, pas de récréation, le Capitaine enchaîne avec les soins au TIGRE, dessalage, renouvellement d’eau douce, branchement électrique… Nous partons découvrir la ville seulement quand notre fidèle ami est bichonné.
 
Notre objectif principal est de nous familiariser avec l’écluse. Il est l’heure de son ouverture du soir. Nous surveillons son fonctionnement, le Pont Levant côté Port de Plaisance, les portes côté Rhône ; nous longeons ses berges, 135 m. de longueur, pour une largeur de 19 M. un dispositif pour les grosses unités ; nous observons les bateaux de passage, sans arriver à imaginer notre TIGRE dans cette fosse énorme !
 
Ce premier contact est l’occasion de répondre à la question qu’on n’ose pas forcément poser : qu’est-ce qu’une écluse ? A quoi sert-elle ?
 
Une écluse est un bassin artificiel qui permet de franchir un dénivelé naturel sur une voie d’eau et rend celle-ci navigable. Quelques mots d’illustration : Un bateau qui se dirige de l’amont vers l’aval (il est dit « descendant »), est situé plus haut que le niveau d’eau « aval ». Le mécanisme de l’écluse va lui permettre d’y remédier. Il entre dans l’écluse, elle se referme, les portes côté « aval » laissent sortir l’eau progressivement de leurs « vantelles » (des vannes qui coulissent dans les portes), et quand le niveau d’eau est identique à l’intérieur du sas et dans la partie aval du cours d’eau, elles s’ouvrent en grand. Le bateau peut sortir. Quand la navigation se fait de l’aval vers l’amont, (il est dit « montant »), les opérations sont inversées.
 
De tous temps, la navigation fluviale a du affronter des obstacles dus à la configuration des cours d’eau. Il semblerait que la première écluse à sas ait été chinoise. En 948, Ch’iao Wei Yo l’avait créée sur le Grand Canal. En Europe une écluse à sas aurait été construite à Spaarndam, aux Pays-Bas, en 1285, à l’initiative de Florent V de Hollande[]. Au XV ° s. c’est en Italie qu’a été créée la première écluse, qui a été améliorée pendant la Renaissance par des ingénieurs italiens. Léonard de Vinci lui-même a contribué aux travaux en inventant l’écluse rectangulaire toujours en service de nos jours.
 
Une tradition qui s’est prolongée : Pierre-Paul RIQUET, le constructeur du CANAL du MIDI, bien que né à BÉZIERS, au début du XVII°, descendait d’une noble famille florentine exilée pour des raisons politiques : les Arrighetti. (Patronyme qui évolua en RIQUET à la suite de francisations successives, RIQUETY, puis RIQUET)
 
En France, Hugues Cosnier mit en œuvre sur le CANAL de BRIARE (entre 1604 et 1610, donc à peu près au moment de la naissance de Pierre-Paul RIQUET,) l’écluse multiple dont il était l’inventeur. (Cette écluse, constituée par une muraille de granit taillé, est renforcée par un autre mur de 2,8 mètres de large.)
 
 
Après notre tour de reconnaissance à l’écluse, et un moment de flânerie au bord du RHÔNE, il est l’heure de diner. Nous sommes attirés par un bar à tapas, sa terrasse est animée par des rires et des conversations joyeuses, et nous nous joignons à cette ambiance de fête…..Pas pour longtemps. Nous sommes attaqués par des troupes de moustiques féroces, qui piquent même à travers les vêtements. Nos voisins de table hochent la tête. Ils sont habitués à ce fléau. Je les soupçonne de sourire dans notre dos quand nous fuyons purement et simplement nous réfugier dans notre bateau, où nous fermons toutes les issues et où nous installons nos lampes insecticides.