Très beau temps, un peu frais. Pas de vent.

 
Nous repartons à 9 heures, escortés par des vols d’oiseaux. Tout de suite, imposantes et nobles, les Portes de Garde du VIDOURLE, au confluent du fleuve et du Canal. Un peu plus loin l’arrivée du canal de Lunel. Tout le long, le Canal traverse les domaines de flamands roses. Au K 32, enserrées par l’étang de MAUGUIO, les pittoresques « cabanes du Roc », habitations de pêcheurs, ont l’air de somnoler.
 
Plus loin, au K 41, à la Croisée de CARNON, les Cabanes de PEROLS ont leur propre port et leurs pontons, en face du Port Fluvial de CARNON. La mer est proche, mais deux ponts nous en séparent et pour le TIGRE, c’est purement et simplement un barrage. La plupart du temps, et nous allons vite nous en rendre compte, son tirant d’air de 2.80 mètres est incompatible avec le gabarit des ponts. Même en abaissant l’antenne, le TIGRE est encore trop haut. Nous remarquons les modèles de bateaux de plaisance locaux, ils sont tous assez plats sur l’eau, une forme indispensable dans cet environnement.
 
Nous comprenons vite que l’accès au bord de mer et à ses ports de plaisance équipés de stations service nous est interdit. Nous cherchons des yeux les fameuses stations que notre carto – guide nous annonce le long du Canal. Nous en repérons deux, mais déception, elles appartiennent à des noliseurs, et sont réservées à leur usage.
 
Pour l’instant, pas trop inquiets, grâce aux jerricans arlésiens, nous admirons les oiseaux sur l’ÉTANG DU GREC. Mais le Capitaine est tracassé. Il lui tarde d’atteindre PALAVAS, une grande ville, où il sera peut-être plus facile de faire le plein.
 
L’endroit dit des « QUATRE CANAUX » est la jointure entre le CANAL du RHÔNE à SÈTE et le LEZ qui le croise pour aller se jeter dans la mer. Nous y rencontrons des plaisanciers et nous nous renseignons auprès d’eux. La réponse est décourageante : Pas question de rejoindre la côte. Pour y parvenir, là encore, nous devrions passer sous deux ponts, trop bas pour le TIGRE. Cependant si nous remontons le LEZ, nous pouvons rapidement arriver à une pompe qui appartient à CARREFOUR MARKET, et se situe derrière la station pour les voitures.
 
Aussitôt dit, aussitôt fait, nous trouvons la pompe sans difficulté. Sauf qu’elle ne distribue que de l’essence et que nous avons besoin de gasoil.
Retour sur le Canal !
 
Les paysages sont grandioses.
Le panorama des étangs entoure le CANAL et l’accompagne. À bâbord, le PRÉVOST, et en face de lui, l’ARNEL, où l’île d’ESCLAVON et la route vers VILLENEUVE, s’avancent sur l’eau, pour unir l’ARNEL à l’étang des MOURES, qui s’ouvre sur l’immense étang de VIC. Par intervalles, le talus disparait, et le canal et l’étang se joignent, les eaux dessinent des arabesques et s’entrainent, se confondent.
Une parenthèse : la passerelle flottante, magique, elle s’efface quand elle entend la corne du bateau.
 
A bâbord, la MAGUELONNE, sa porte aux allures d’arc de triomphe, et l’Abbaye, plus loin, une cathédrale romane vieille de 8 siècles, qui avait elle-même succédé à une autre église. Cet îlot volcanique est connu des hommes depuis les temps les plus reculés. Ensuite, le long étang de PIERRE BLANCHE et celui d’INGRIL.
 
Au milieu de ces eaux qui s’amusent à s’entremêler, le PORT des ARESQUIERS. Le village est transformé en BD. Il est décoré de couleurs vives, façades en trompe l’œil, panneaux humoristiques, et « habité » par des personnages locaux, grandeur nature, en situation de vie quotidienne, si véridiques qu’on ne sait pas distinguer les vrais humains de leur reproduction. Deux personnes qui discutent, une qui observe son jardin, l’autre sa barque….Belle réussite. Bravo les artistes !
 
Malgré cette diversion, le carburant devient peu à peu une obsession. Nous espérons pouvoir gagner la mer à FRONTIGNAN, les ports de plaisance sont tous dotés de stations.
L’accès à la mer est interdit par un panneau bien connu de la signalisation fluviale. Apparemment, nous sommes les seuls à le voir. Il est peut-être sujet à des éclipses ? D’autres prennent cet embranchement, et le prendront, nous l’apprendrons plus tard. Respecter le code ou pas, toute la question est là !
Nous continuons sur le CANAL.
 
FRONTIGNAN est barré par un pont levant, qui se retire à certaines heures, et nous devrons prendre patience. Par chance nous trouvons un amarrage au PORT d’ATTENTE et nous y déjeunons, sans nous presser, il est midi, nous avons du temps libre jusqu’à 16 h 30 !
 
Nouvelle enquête auprès d’un groupe de jeunes gens qui galèrent avec le moteur de leur canot. Réponse : Pas de carburant dans le secteur. On est en pleine ville, dans un cadre très civilisé, et pourtant au milieu de nulle part.
 
Nous irons donc à SÈTE. L’entrée du Port est jolie….et courte ! Elle bute sur un pont, le premier d’une série, qui sépare de la mer, tous trop bas encore pour le TIGRE. Nous devrons attendre qu’ils se lèvent, ce qui est prévu aux environs de 19 heures au plus tôt. Et nous n’aurons pas le temps d’un aller-retour ce soir, nous devrons patienter jusqu’à demain matin, en nous amarrant où ? Comment ? Surprise ! .J’ai téléphoné à divers numéros pour obtenir des précisions sur les horaires, les équipements de SÈTE, etc. mais aucun ne répond. Occupé, faux….j’essaie de contacter les dérangements, une démarche qui me semblait enfantine. Je ne savais pas que pour signaler le disfonctionnement d’une ligne, il fallait indiquer le nom de son opérateur. Si on ne le connaît pas, on est orienté vers l’un ou l’autre. Dans ce cas, ORANGE. Pourquoi pas ? Le temps d’attente est tel que je renonce.
 
Nous abandonnons l’idée de SÈTE. J’appelle toutes les capitaineries de l’ÉTANG de THAU : l’une réserve le carburant aux professionnels, l’autre n’a qu’une pompe de super, une autre peut nous abriter pour la nuit et ensuite nous essaierons de gagner le port sur la mer, sauf que là aussi, un pont défend l’accès…. l’aimable interlocuteur qui me renseigne n’en connait pas le gabarit, et accessoirement, il n’est pas certain non plus que nous pourrons trouver du gasoil de l’autre côté. Il hésite, du carburant, oui, mais super ? Gasoil ? Surprise ! Nous ne sommes pas joueurs !
 
Le Capitaine décide de coucher à BOUZIGUES, que nous connaissons bien, un village de pêcheurs, où les « paysans de la mer » ont conservé les techniques traditionnelles de l’élevage des huitres dites « de Bouzigues ».
 
Personne ne répond à la Capitainerie, tant pis (le numéro donné par notre guide était faux, je l’apprendrai plus tard). Je tente la Mairie qui me donne le même numéro, et ne peut pas davantage pour nous. Tant pis ! Vive le tourisme !
 
Nous entrons dans le Port, et tâchons de nous accrocher provisoirement, avant de rencontrer un responsable.
Pendant la manœuvre, une voix décidée nous indique une place. J’explique au jeune homme que nous voulons simplement nous arrêter un petit moment, le temps de nous rendre auprès du Capitaine du Port.
– C’est moi le Capitaine !
 
Il était en congé, mais il est venu faire un tour sur ses quais… Très gentil, il nous confirme que nous ne trouverons pas de gasoil sur l’ÉTANG.
 
Nous dînons chez TURLOT, notre halte habituelle dans cette région, depuis des années. Le restaurant est simple par son décor, familial par sa cuisine, abordable par ses prix, et vraiment plaisant. Nous l’avons découvert en compagnie d’un enfant qui a été accueilli en prince (évidemment, puisqu’il en était un, mais tout le monde ne le décèle pas au premier coup d’œil). Nous y sommes retournés, avec ce garçon, qui a grandi, mais apprécie toujours la gastronomie de BOUZIGUES, et a même inventé le terme « BOUZIGUER », et avec d’autres personnes. Toujours avec plaisir.
 
Ce soir nous nous joignons à la conversation d’un groupe autour du comptoir : des éleveurs d’huîtres collègues du restaurateur, Monsieur BACQUÉ, qui cumule les deux activités.
 
Nous nous documentons sur leur vie quotidienne tout en leur exposant notre problème. Ils y sont confrontés eux aussi. La hauteur des ponts de SÈTE leur barre l’accès au port, donc limite leur développement. Ils se sont tous équipés de bateaux plats, dont la cargaison ne peut être aussi importante qu’ils le souhaiteraient, et ils ne peuvent pas étendre leur profession à la pêche en mer. La conjoncture rendrait souhaitable cette extension. La productivité des huitres a été divisée par quatre à la suite de l’apparition d’une maladie nouvelle.
 
Notre petit souci de carburant est dérisoire à côté de ces problèmes qui empoisonnent la vie des Bouzigauds ? Pourtant il est indispensable de le traiter. Monsieur BACQUÉ et ses amis nous proposent leur aide spontanément.
 
Le lendemain à la première heure, Monsieur BACQUÉ, viendra chercher le Capitaine du Tigre, l’amènera en camionnette à une station service, où ils rempliront des bidons.
 
Nous repartirons en sécurité pour un moment !…au moins pour le chapitre carburant.
 
En attendant, passons la fin de la soirée à la préparation de cette rencontre si émouvante que nous ferons demain avec le CANAL du MIDI, classé en 1996 par l’UNESCO au Patrimoine Mondial de l’Humanité, le prestigieux, le ROYAL comme il le fut pendant quelque temps !
 
Il a été commencé en 1667, achevé en 1681 et inauguré le 24 mai. En deux chiffres : de TOULOUSE à l’ÉTANG de THAU : 240 kilomètres ; 61 écluses. Son tracé est à double pente, conséquence de l’obstacle naturel du SEUIL de NAUROUZE, qui à 189 m d’altitude, détermine le versant atlantique et le versant méditerranéen.
 
Il se prolonge par le CANAL LATÉRAL de la GARONNE, construit au XIX ° s. et tous les deux forment avec leurs ramifications le CANAL dit d’ENTRE DEUX MERS, puis des DEUX MERS, référence à leur vocation : la liaison de l’ATLANTIQUE et de la MÉDITERRANÉE.
 
Cette voie de communication a favorisé le développement économique durant 300 ans de son histoire. Les barques acheminaient voyageurs et marchandises : vins, céréales, savon de Marseille, épices… sur tout le bassin fluvial du Sud Ouest, et remontaient par le RHÔNE vers PARIS et l’EUROPE du NORD. Ce trafic a été bouleversé par l’apparition du moteur et des pétroliers, et l’octroi de la gestion du CANAL à la COMPAGNIE des CHEMINS de FER du MIDI, qui a privilégié le transport par le rail. De nos jours, les activités sont principalement touristiques, promenades, sports, randonnées le long des berges.
 
L’idée de cette liaison par eau est ancienne. Déjà FRANÇOIS 1° avait commandé une étude, mais n’avait pas entrepris les travaux, qui se heurtaient à trop de contraintes techniques. HENRI IV avait réitéré, puis abandonné pour les mêmes raisons.
 
Et le créateur du CANAL fut au XVII ° s un homme de génie : Pierre-Paul RIQUET, fermier de la gabelle et intendant des armées de LOUIS XIV.
 
Il naît à BÉZIERS entre 1604 et 1609, on ne connaît pas sa date de naissance exacte. Mais sans doute un jour de la fête de SAINT PIERRE et SAINT PAUL, dont il porte les deux prénoms.
 
Dès l’enfance il est habité par l’idée du canal. Après la fin de sa carrière, il s’y consacre. Premier acte, en 1658, il a acquis la totalité des droits de l’eau de la SEIGNEURIE de REVEL, il a ensuite rencontré COLBERT, enfin, après les inévitables tracas pour l’obtention des diverses autorisations, et malgré des oppositions politiques et personnelles, il accomplit son grand projet. D’abord, il conçoit le système d’alimentation de la MONTAGNE NOIRE, et crée le BASSIN de SAINT FERRÉOL, le plus grand réservoir d’eau artificiel du monde, terminé en 1672, préalable à la création du CANAL.
 
Les travaux sont ensuite effectués en trois tranches :
– de TOULOUSE à TRÈBES, ils permirent la liaison régulière de la barque de Poste entre TOULOUSE et CASTELNAUDARY
– de TRÈBES à l’ÉTANG de THAU,
– et enfin la construction du port de CETTE (aujourd’hui SÈTE)
Paul RIQUET en avait financé lui-même une grande partie.
 
Intelligent, audacieux, persévérant, tenace, travailleur infatigable, alliant une intense imagination et un jugement sûr, doué du don de l’observation, d’une grande qualité humaine, inventeur, visionnaire….il s’est gravé dans la culture du MIDI en héros, et on l’appelle encore « NOSTRE RIQUET ».
 
Après sa mort, en 1680, quelques mois avant l’inauguration du CANAL, son fils Jean-Mathias prend sa succession. Un autre grand nom, très connu, est associé à l’entreprise : VAUBAN.
 
La vénération pour Paul RIQUET reste vivace dans la région. Son œuvre est certes exceptionnelle, mais le souvenir qu’il a laissé dévoile que l’homme lui-même était aussi hors du commun.
Au cours de notre avancée nous reverrons Paul RIQUET, baron de BONREPOS.