Nous partons tôt, 9 heures. Le ciel est voilé. Nous quittons le CANAL du MIDI pour prendre le CANAL de JONCTION, embranchement de LA NOUVELLE, portion qui joint le CANAL du MIDI au CANAL de la ROBINE (classé au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO depuis 1996.)

 
La ROBINE vient de ROUBINE, qui en Occitan est un canal.
 
Un peu d’histoire : Conséquence logique du succès du CANAL du MIDI, il fut décidé en 1686 de lui rattacher NARBONNE. Ainsi naquit dans un premier temps le CANAL de la ROBINE, mis en service par VAUBAN ; il parcourt l’ancien lit de l’AUDE (que les Romains parcouraient déjà en bateau) du lieu dit GAILHOUSTY à la mer. Mais on ne pouvait remonter de GAILHOUSTY au CANAL du MIDI que par la route. Deuxième temps : en 1776 fut construit le CANAL de JONCTION qui de PORT la ROBINE descend jusqu’à l’AUDE, à SALLÈLES d’AUDE, et rejoint le CANAL de la ROBINE. La liaison directe par l’eau du CANAL du MIDI à la mer était réalisée.
 
Très belle section de notre voyage, très paisible.
 
 
Le Canal est d’une beauté classique, très net, une imitation de dessin de LENÔTRE. Les écluses sont manuelles, c’est-à-dire qu’à chacune, l’équipier doit quitter le bateau, se rendre à l’appareil qui gère l’ouverture et la fermeture de l’écluse, et accomplir les opérations qui y sont indiquées, puis remonter à bord dès que possible. Le navigateur solitaire doit attendre l’arrivée d’un autre bateau pour pouvoir écluser, ou appeler un représentant des VNF. Mais nous sommes deux…
 
Les écluses sont rapprochées les unes des autres, et les chutes d’eau sont diverses. CESSE (K 0,285 ; 2,54 mètres) ; TRUILHAS (K 0,951 ; 3,11 mètres) ; EMPARE (K 1,624 ; 2,95 mètres) ; ARGELIERS (K 2,292 ; 2,99 mètres) ; SAINT CYR (K 2,964 ; 2,79 m.).
 
Chacune a sa maison d’éclusier, pimpante, fleurie, digne d’un livre d’images.    
                   
Les usagers sont très peu nombreux, la Nature paisible, les pins parasol alignés avec désinvolture, on est hors du Temps. Le ciel est dégagé à présent, il se sent méditerranéen.
 
Cependant, le canal cache toujours des embuches, et le TIGRE heurte une pierre alors qu’il s’approche de la berge pour que je puisse faire mon numéro de voltige. Le Capitaine n’est pas content.
 
SALLÈLES, au K 3,733, est une petite ville ravissante. Nous nous attendions à une écluse dans le style des précédentes avec une chute d’eau de 2,79 m. annoncée par notre carto-guide. Or, elle est tout à fait différente : 6,30 m ! Un employé des VNF est présent pour faciliter la manœuvre. Non seulement il nous aide mais il nous donne des indications et des conseils précieux pour la suite du voyage.
 
A la sortie de SALLÈLES, le CANAL de JONCTION se termine par un très beau site : sa dernière écluse, GAILHOUSTY, au K 4,894 (3,40 m.), le confluent avec l’AUDE, (au K 5), et le départ du CANAL de la ROBINE avec l’écluse de MOUSSOULENS (au K 0,047), qui est ouverte. L’ambiance est très particulière, cinématographique. Pour la navigation, la prudence est de mise, à cause des courants qui s’affrontent.
 
Autre raison de prudence : la profondeur du CANAL. Jusqu’ici, elle était de 1,60 en théorie. Elle risque d’être inférieure à présent. En principe, elle devrait être affichée aux écluses, mais nous ne l’avons pas vue. Le TIGRE a un tirant d’eau de 0,95….seule certitude.
 
Nous éclusons à RAONEL (K 4,125 ; 1,96 m), puis à GUA (K 8,515 ; 2,10 m.), et nous atteignons NARBONNE.
 
NARBONNE, fondée par les Romains en -118, était leur plus ancienne colonie en Gaule. Son nom viendrait de Colonia Narbo Martius selon le toponyme celte ou ibère Narbo signifiant « Habitation proche de l’eau » ( apparenté à la racine basque narb) et le nom de Mars, dieu romain de la Guerre invoqué pour la protection de la nouvelle cité. Elle était située sur la via Domitia, la première route romaine en Gaule, qui permettait de relier l’ITALIE à l’ESPAGNE .
 
Capitale de la province romaine de la Gaule narbonnaise, elle fut celle des Wisigoths, au début du VIe siècle, et celle d’une éphémère province sous l’autorité de CORDOUE, après sa conquête par les troupes des OMEYADES (VIII° s.). Au IX °s. elle fut pillée par les Vikings.
 
Jusqu’à la fin du Moyen Âge, Narbonne fut gouvernée par deux seigneurs : l’archevêque et le vicomte.
Elle est  ensuite devenue la grande ville de cette région viticole.
 
Vue de l’eau, la ville est magnifique, l’enfilade de ponts est d’une grâce rare. Nous avons une épreuve à remplir cependant : l’écluse de NARBONNE (au K 9,631 ; 1,94 m.). Une écluse automatisée. Elle est fermée (le feu est rouge). Nous devons demander l’autorisation de passer. Au milieu du CANAL pend une perche. L’équipier doit se placer à l’avant du bateau, saisir la perche et la tourner. Si le passage est libre, le feu passe au vert. S’il ne l’est pas, il faut attendre. Mais a-t-on bien tourné la perche, et suffisamment ?… Ne pas stresser !
 
Le petit détail « de plus » est que, des berges, un certain public suit des yeux les plaisanciers. Des yeux sans amabilité, sans chaleur, on a hâte de quitter ces eaux inhospitalières.
 
Appelons la compassion de notre cœur et envoyons la vers ces mines patibulaires. L’écluse y est favorable, elle s’appelle « La CHARITÉ ». Elle est immense, encore un signe. Elle est enchâssée dans les immeubles, et complètement à la merci des oiseaux qui la survolent et y laissent tomber leur production naturelle. Les parois de pierre en sont couvertes et glissantes. Pour maintenir le bateau hors de choc, difficile d’utiliser son pied, et pourtant….Les embûches de la charité !
Là, une curiosité, personne ne passe, personne ne regarde, y-a-t-il des vivants dans le Centre de NARBONNE ?
 
Après l’écluse, un autre quartier de NARBONNE est tout à fait curieux : le CANAL passe sous les maisons, par une ouverture de 3,30 de haut dans l’axe et 2,80 sur les côtés. Le TIGRE a tout juste la place de glisser son tirant d’air de 2,80, avec tous les appareils abaissés.
 
Nous passons sous le fameux PONT des MARCHANDS. A l’époque romaine, un premier pont à sept arches permettait à la VIA DOMITIA de franchir l’ATAX (l’AUDE). Les marchands y installèrent leurs échoppes et leurs demeures. Il n’en reste que l’arche centrale.
 
NARBONNE s’étale de K 8 à K 11, une distance qui paraît longue en bateau, quand elle est agrémentée d’une écluse surprenante et de quatorze ponts….et d’un coup, après le Palais des Foires et Expositions, de nouveau, le CANAL entre dans un cadre sauvage, et on oublie qu’on côtoie des lieux habités, GLEIZES ; CRABOULES ; MANDIRAC et son écluse (K 18,433 ; 1,5O m.) ; une base d’aviron ; PETIT TOURNEBELLE ….
 
Un plat pays. Le CANAL est bordé de talus qui nous en séparent. Il nous reste à imaginer au-delà, l’ÉTANG de CAMPIGNOL ; les SALINS ; les ÉTANGS de l’AYROLLE à gauche, de BAGES et de SIGEAN à droite….Bien réelle, une halte, à SAINTE LUCIE au K 28,636 (0,80 m.), d’où l’on part en promenade vers la Maison des l’ÉTANGS sur l’ÎLE SAINTE LUCIE. Un site paisible, serein…Une écluse « facile ».
 
Ensuite encore le SALIN de SAINTE LUCIE à gauche, les SALINS de GRIBLAUD à droite, au fond de l’immense ÉTANG de SIGEAN…
 
Je monte sur les bancs du pont pour essayer de les distinguer, vainement. Nous devrons nous contenter de la vue à fleur d’eau, et à ras de berge.
 
Des oiseaux planent, jouent, plongent, se poursuivent ; des canards barbotent…. Des fleurs se penchent, s’ébrouent, se mélangent….
 
Le CANAL est rectiligne, si rigide qu’il en est impressionnant.
 
Nous nous sentons en marge d’une Nature indépendante, mystérieuse. Elle nous entoure de sa vie prodigieuse et nous donne à lire des messages que nous déchiffrons à notre façon. Trop vite sans doute, qu’importe ? L’essentiel est de saisir l’expérience qui nous est offerte, là, tout près, à notre portée. Nous naviguons en poésie.
 
Il y a un « mais » cependant. Depuis un moment, le sondeur ne donne plus d’informations. Nous touchons le fond. Le TIGRE a du mal à avancer, malgré sa vitesse réduite. Il est dans la vase, ou à fleur de vase, et un bief « très envasé » est annoncé ….Soyons optimistes ! Nous passons !
 
PORT la NOUVELLE : Un pont, deux, trois, en échangeur au dessus de l’eau, nous tournons à angle droit, nous entrons dans le port. Un dernier coup d’œil vers le trait du Canal qui se perd à l’horizon, une dernière photo…..nous allons prendre la mer !
 
Une vieille chanson disait : « Y’a toujours un passage à niveau qui barre la route, ça vous déroute…. »
 
Dans PORT la NOUVELLE, ce n’est pas le train c’est un énorme cargo qui entre, avec ses remorqueurs, et on nous demande d’attendre qu’il soit à quai. Combien de temps ? Une heure environ. Nous amarrons à un ponton, parmi les bateaux de pêche, nous sommes prêts à apprécier le spectacle. Il est vraiment passionnant. Le ballet des engins, à terre et en mer, l’entrée d’un chalutier qui se glisse derrière le cargo, suivi d’une nuée de gabians…les oiseaux plongent, crient, se laissent flotter ….Pour PORT la NOUVELLE, c’est une scène ordinaire. Pour nous, elle est exceptionnelle. Nous sommes au cœur de l’action. Inédit !
 
Une pause pour s’intéresser à cette ville, qui devrait son nom à l’expression « novas bellas” (« nouez les voiles ») ou au latin “navilla” (canal maritime).
 
Une tour carrée au XVI°s, un hameau au XVIII°, puis un village qui devient commune sous le nom de « LA NOUVELLE », par un édit de LOUIS PHILIPPE. Au XIX ° la vocation de station balnéaire s’affirme ; le XX° sera plus industriel : une cimenterie est créée, ainsi que des espaces de stockage pour les céréales,(silos), le gaz et le vin, des dépôts de pétrole et d’acide phosphorique. Aujourd’hui, la ville conserve trois dépôts d’hydrocarbures, trois de gaz , un d’alcool, et dans sa darse pétrolière elle accueille des bâtiments de 145 mètres linéaires . Elle est port de commerce mais aussi port de pêche, et de plaisance.
 
17 heures : Enfin le TIGRE s’élance vers le large, bleu et ample : La Méditerranée.
 
Régulièrement, nous écoutons la météo. Aujourd’hui, elle n’est pas optimiste. Avis de coup de vent sur le Golfe du Lion ; en langage commun, un vent de force 8, soit 34 à 40 nœuds, ou 62 à 74 kilomètres sur l’échelle de BEAUFORT. Nous allons essayer de lui échapper, et de rallier le plus vite possible un abri avant de poursuivre notre retour sans trop de risques.
 
Nous nous sommes écartés de la côte depuis peu lorsqu’une odeur de brulé nous agresse. « Une usine ? L’odeur viendrait jusqu’ici ? » « Mais non, c’est le moteur du TIGRE ! »
 
Pas réjouissant ! C’est fou, la terre semble loin d’un coup. Nous avons rencontré des plaisanciers qui avaient arrêté leurs vacances à PORT SAINT LOUIS, (ils venaient de la GRANDE MOTTE et devaient se rendre à PORQUEROLLES), à la suite justement d’une avarie semblable. Ils s’étaient retrouvés en mer avec un moteur inutilisable, qui chauffait tellement qu’il donnait l’impression de pouvoir s’enflammer d’un instant à l’autre ; ils avaient été remorqués par un pêcheur….
Le Capitaine stoppe le moteur, l’odeur s’estompe un peu, le TIGRE reprend sa route à petite vitesse, et le cap est mis prudemment vers le premier port : GRUISSAN.
 
Le ciel s’est couvert, le vent se met à souffler, la température s’est rafraîchie, mais bonne nouvelle : le Port de Plaisance peut nous réserver une place.
 
La vie offre toujours des compensations aux ennuis : dès notre arrivée, à 18 heures, nous pouvons remplir le réservoir à la station du Port….ensuite nous dînons au bord de l’eau dans un restaurant remarquable : la Barque bleue, tout y est bon, et les patrons sont chaleureux, amicaux….excellente soirée.
 
La suite à demain !